vendredi 23 novembre 2012

La fracture générationnelle du logement


Étrange.

Durant les 2h15 de la récente conférence de presse de François Hollande, de logement il ne fût question à aucun moment. Pas plus dans son exposé que dans les questions des journalistes.

Faut-il en tirer la conclusion que ce joli monde considère que tout va bien. Vivent-ils dans un monde parallèle où l'on peut gambader de pièces en pièces sans se soucier du loyer à régler ? Ont-ils une idée arrêtée sur le sujet ? Serait-elle: "Jeunes, il faut s'en remettre au marché. Lui seul sait. C'est dur, mais c'est comme ça, et nous, vieux possédants, aurions trop à perdre à changer radicalement la donne. Mais ne vous plaigniez pas: vous avez la vie devant vous, hein" ?.

Cet assourdissant silence est en total décalage avec la priorité numéro un des jeunes Français comme le révèle, sans surprise, le sondage CSA-Polylogis (bailleur social) sur "les jeunes et l’accès au logement" réalisé auprès de 18-29 ans:

"Plus d’un tiers des personnes interrogées (35%) désignent le logement comme l’élément le plus prioritaire dans leur situation personnelle"Se loger" apparaît au même titre que "se nourrir" (30%) comme un besoin essentiel, dernier rempart contre l’exclusion sociale et la pauvreté. Le travail (25%) arrive en troisième position."

Le logement arrive avant la nourriture et le travail. En langage technique, on appelle ça: UNE PUTAIN D'URGENCE.

79% des jeunes sondés "estiment qu’il est difficile de trouver un logement pour un jeune aujourd’hui en France" dont 28% jugeant la situation "très difficile" (la moitié d'entre eux en région parisienne).

L'enquête souligne au feutre gras la conséquence du violent décrochage des prix des loyers en 10 ans par rapport aux salaires. 71% des jeunes identifient les garanties à apporter au propriétaire ou à l’agence comme le principal obstacle à surmonter pour trouver un logement. Les jeunes ont le sentiment de "faire face à une situation sans précédent". 80% estiment qu'ils "ont aujourd’hui plus de difficultés pour trouver un logement que leurs parents quand ils avaient leur âge". Tu m'étonnes.

Dans le détail le sondage CSA-Polylogis nous apprend que sur les 68% de jeunes ayant une autonomie résidentielle, 46% sont locataires, 19% sont propriétaires. 3% déclarent vivre en colocation.


En croisant ces chiffres avec ceux d' une autre enquête, publiée la veille par le courtier Empruntis, révélant qu'il faut désormais un apport de 50.000 euros et un salaire minimum de 4000 euros pour acheter, cela signifierait que 19% des 18-29 ans disposent, en plus d'un revenu bien au-dessus de la moyenne française, de parents très généreux, ou alors ont hérité d'une maison. Tant mieux pour eux. Malheureusement, ils sont largement minoritaires. Pour les autres, c'est la galère.

Parmi les 68% autonomes de l'enquête CSA-Polylogis sur les jeunes, un tiers (32%) connaît des difficultés pour faire face à son loyer ou à ses remboursements de crédit. Et face à ces difficultés, 43% ont déjà envisagé de retourner vivre chez leurs parents, et 13% y sont effectivement retournés.

Dans les pistes évoquées par le sondeur pour améliorer la situation 43% des jeunes estiment qu’il faudrait assouplir les règles de constitution des dossiers pour les locations (Quoi ? Il serait fou de demander un revenu de 6000 euros pour louer une chambre de 20m2 ? Et bien non, pas en France). 32% des personnes interrogées évoquent ensuite la construction de nouveaux HLM et l’encadrement du niveau et de l’évolution des loyers dans le parc privé (32%) devant l’augmentation des aides sociales (27%).

Si j'étais sondeur, j'aurais pour ma part évoqué des pistes un peu plus radicales dans la liste des choix pour provoquer "un choc d'offre" à moyen terme, comme la taxation progressive des logements vacants puis leur réquisition pure et simple au bout de quelques années. 

Notons que l'augmentation du nombre de constructions réservées aux primo-accédants à la propriété (18%) est la dernière solution citée par les jeunes. Ce dernier point coïncide avec la conclusion de l'enquête Empruntis diagnostiquant un blocage du marché immobilier. Les fameux primo-accèdants ont quasiment disparu des agences immobilières et les transactions s’opèrent désormais entre propriétaires. 

Résumons. Les 18-30 sont dans une merde noire au niveau du logement. S'en sortent d'abord ceux qui sont aidés, d'une façon ou d'une autre, par leurs parents. Parents disposant parfois de revenus conséquents via un excès de patrimoine remis en location en agence. Le duo agence / propriétaire exige à son tour des conditions impossibles à remplir pour les jeunes aspirants locataires. La boucle est boucléeDégagés de l'accession à la propriété (par la montée des prix dont à bénéficié la génération du dessus), les jeunes sans revenus garantis (qu'ils travaillent ou non) ni aides parentales (la majorité d'entre eux) sont aussi méthodiquement dégagés de l'accession à la location (qui bénéficie prioritairement à la génération de leurs parents). 


Vers quel marché se retournent alors les proprios soucieux de leurs rentes et de leur confort ? Celui de la location saisonnière par exemple. 

Introducing la 3e étude de la semaine (l'annonce de la loi Duflot stimule-t-elle la fièvre statistique des acteurs du secteur). Celle-ci est commandée par l'association France Meublés regroupant les bailleurs de "meublés" défiscalisés. Nos proprios sont inquiets de ne plus pouvoir louer aussi librement leurs biens pour des baux courts comme avant (à savoir aux cadres en mission et aux touristes, locations à des tarifs prohibitifs pour toute autre catégorie le prix au mois devient celui à la semaine). Cette martingale étant en plein boom, on peut même se demander si les bailleurs ont envie de revenir en arrière louer à une clientèle locale bien moins rémunératrice ? Pour avoir écumé quelques agences et sites l'an passé, je peux affirmer que non.

Selon le sondage réalisé par Opinion way, le secteur représenterait sur Paris 17.000 propriétaires et 20.000 appartements (54.000 contrats / an). Et l'étude d'avancer que 67 % seraient occupés par leurs propriétaires une partie de l'année et n'iraient donc pas en location classique de toutes les façons (ce qui, selon l'association, devrait suffire à pouvoir continuer à les louer à des prix exorbitants et à ne pas les faire basculer en "activité commerciale", plus taxée). 

L'argument de l'occupation ponctuelle par les propriétaires est fallacieux. Il y a un manque de disponibilités de logement sur Paris et l’île-de-France. De plus, le logement n'est pas un bien de consommation comme un autre et, on l'a vu plus haut, une classe d'âge parfaitement consciente des inégalités de répartition le considère comme une priorité. Si la société n'était pas tourneboulée jusque dans l'intime par la logique de propriété, il faudrait prendre le problème à l'envers, pénaliser fiscalement toute inoccupation prolongée de quelques semaines, et personne ne devrait trouver scandaleux.

Mais non. L'association, prenant son envol tel le pigeon zélé avant d'être conviée par Cécile Duflot à participer aux négociations sur le texte de loi, de jouer de son chantage en brandissant des chiffres: si ces biens sont intégrés à la prochaine loi sur les rapports locatifs, "les 100 agences parisiennes spécialisées, dont c'est la seule activité, vont devoir licencier 1.100 salariés directs auxquels s'ajoutent 1.000 emplois indirects (femmes de ménage, gestionnaires, réparateurs, etc.)" déclare l'association.

(les lecteurs du Figaro sont - très - réservés sur la question)

Mais où résident donc ces emplois, et parmi eux les plus jeunes, puisque du fait même de cette lucrative activité des bailleurs soutenant à la hausse le prix du m2 sur Paris, ils sont dans l'impossibilité de se loger à proximité ? Ailleurs. Souvent loin. Dans des zones de vie délocalisées par rapport à l'activité.

Cet exemple est symptomatique du verrouillage du patrimoine à l'oeuvre dans ce pays. Rien ne sert de parler de compétitivité ou de coût du travail tant que la question d'un logement abordable, à la fois financièrement et géographiquement pour tous ceux qui entrent sur le "marché" du travail, n'est pas réglée. Un loyer trop cher, c'est du pouvoir d'achat en moins. Une recherche sans fin d'appartement ou un appartement loin de tout, c'est à l'évidence un frein pour l'emploi. 

En plus d'une politique ambitieuse de construction et de réhabilitation, résoudre cette question, et la question de la répartition générationnel des richesses qu'elle sous-entend, implique d'une façon ou d'une autre de légiférer sur le prix des loyers, de faciliter l'accession à la location, de taxer fortement les logements inoccupés ou sous-occupéet de poursuivre ceux qui abusent, qu'ils soient institutionnels, professionnels ou particuliers. Bref, de remettre en cause, au moins en partie, le sacro-saint droit de propriété.


Illustrations: Le locataire, R.Polanski, 1975

mardi 16 octobre 2012

Une autre promo-flash chez Nexity

Nexity a su réagir et s'adapter à la crise. Après sa promo flash  pour un 4 pièces à 1.500.000 euros sur Paris (78 années de salaire moyen hors coût du crédit), le promoteur pense aux petits budgets qui ne veulent pas être injustement privés de pouvoir se réaliser en tant qu'être humain enfin digne de ce nom, bref de devenir propriétaires.

Ta, da ! Voici donc pour eux la nouvelle proposition "prix malin" de Nexity : Le 1 pièce à 200.000 euros. (reçu par courriel par Politeeks)


Bon évidemment à ce niveau de surface (9m2 ? 20m2 ?), ne compte pas avoir de famille. Il n'y a pas de sacrifice trop grand pour devenir propriétaire.

lundi 24 septembre 2012

Logement : cellule de crise à Valeurs Actuelles


Le logement va mal, mais pire encore, l'immobilier s'effondre, enfin les perspectives de rente exponentielle. 

La preuve ?  

Le dossier "Logement, comment ils organisent la pénurie" (ils = la gauche) occupe les 70% de la couverture du dernier numéro du magazine de la droite qui s'assume Valeurs Actuelles tandis qu'un insert "Islam, jusqu’où iront les fous d’Allah ?" n’en occupe que 5%  malgré la bouillante actualité.
Indiscutablement c’est panique à bord depuis que Cécile Duflot tente de redresser un secteur fondamental de la société abandonné au marché des rapaces depuis trop longtemps.

Est réunie autour d'un thé citron aux biscuits Calèche dans la war room du mag de droite, une belle brochette de spécialistes. Le patron de Century21, celui de Kaufman and Broad, de la Cogedim, de la Fnaim ainsi que le directeur du Pole logement de Nexity. Et d’autres encore. Tous d’accord sur un point, entre deux pages de publicité pour leurs enseignes: "La gauche casse le marché". 

Ce dossier, c'est un peu la crème de la crème des pleureuses des années de rente potentiellement promises à l'agonie. A vrai dire, c’en est presque trop pour faire un article assassin tant il faudrait que je reprenne chaque ligne, et recopie intégralement l’article.

Néanmoins. Morceaux choisis:

Sur la chute des transactions constatées depuis 6 mois, Jean-François Buet, président de la Fnaim, valide la théorie de la bulle et reconnait en une passe que…

« La fin du prêt à taux zéro en début d’année, qui permettait à de nombreux ménages à revenus modestes de devenir propriétaires, explique en partie le ralentissement de l’activité. C’est aussi la conséquence du nouveau régime de fiscalité sur les plus-values [décidé sous Sarkozy] au 1er février, qui dissuade les bailleurs de mettre en vente leur résidence secondaire ou leurs biens locatifs ».

Mince alors. On ne pousse plus les petits revenus à "primo-accéder" coûte que coûte à la propriété et les thunés ne se pressent plus pour vendre (preuve qu’ils ne sont absolument pas dans le besoin, et par conséquent exercent une pression en gardant la superficie pour eux)

D'ailleurs, Le patron de Century 21, Laurent Vimont, s’insurge que les pauvres ne puissent pas plus s’endetter comme aux belles années…

"La part des jeunes acquéreurs de moins de 30 ans a baissé de 30% dans nos statistiques"

En même temps Laurent, si on les payait  les jeunes avec des vrais salaires au lieu de les faire turbirner dix ans de suite au stage gratuit, y’aurait peut-être plus de "primos-accédants", solvables qui plus est.

Jean-François Buet de la Fnaim, lui, confirme que la baisse des taux en période de crise profite encore une fois à ceux qui disposent du cash:

"La baisse des taux profite essentiellement à des investisseurs qui arbitrent leurs valeurs mobilières, par exemple en clôturant leur contrat d’assurance vie pour investir dans l’immobilier dans de petits logements qu’ils mettront en location" [comme probablement ce prof de droit à Jussieu bailleur de l'immeuble de St Denis qui a flambé et causé trois morts]. Ce qui vient infirmer les propros de président de Kaufman and Broad, Guy Nafilian, déclarant au sujet du prochain Scellier que, si celui-ci n’offre pas une rentabilité minimale de 4%, il sera délaissé.

(La war room)

Le même Guy Nafilian nous alerte au sujet du relèvement à 25% de la part de logements sociaux dans les programmes neufs : "Lorsqu’on accroît la part de logements sociaux dans une opération, ce sont les prix de vente des autres logements en accession à la propriété qui augmentent". Bien évidemment moins c'est cher, plus c’est cher. D'impertinents journalistes auraient pu lui rétorquer la même chose au sujet de la qualité des programmes qu'il a vendus au durant des années.

Christian De Gournay, boss de la Cogedim, lui, est à deux doigts de rejoindre les files d'attente des Restos du coeur avec sa gamelle trouée: "On ne sent pas les pouvoirs publics prêts à réagir vite à une conjoncture détériorée" En décodé: le logement social ne va pas arranger les ventes de la Cogedim. J'ai envie de dire ça tombe bien puisque les locataires en logement social n'ont pas le pognon pour lui acheter quoi que ce soit. On me glisse dans l'oreille que certains, des fous probablement, ne veulent d'ailleurs pas acheter du tout, mais juste avoir un toit

A la question de l'impact de l'encadrement des loyers, Laurent Vimont de Century 21 lâche une grosse intox non relevée par l'aréopage corporate, pas plus que par Valeurs Actuelles : "Cette mesure est inappropriée et inapplicable. Inappropriée, car un propriétaire ne pourra même pas revaloriser un loyer s'il fait de grosses dépenses d'entretien[Faux, le texte de loi prévoit une hausse au-delà de l'indice de référence lorsque le propriétaire a effectué des travaux d'un montant au moins égal à la dernière année de loyer] Et Vimont de préciser que "le marché locatif repose sur les épaules des particuliers". Justement Laurent, il s'agit de sérieusement remettre de l'ordre dans un secteur complètement libéralisé depuis 15 ans avec les méfaits sur les prix que les français, non-propriétaires, ont du subir, eux, sans pouvoir s'offrir de tribune dans la presse

Mais Vimont n'en démord pas "Cette mesure d'encadrement est d'autant plus paradoxale que les loyers ont moins augmenté que l'inflation en 2012". Encore un peu et il traiterait les locataires d'odieux privilégiés plaçant en Suisse le pactole emmagasiné sur le dos de leurs proprios exploités par un état soviétique. En même temps Laurent, comme les chiffres de l'inflation ne prennent pas en compte le coût du logement depuis le commencement de la hausse des prix qui ont doublé en 10 ans cet argument n'a qu'une signification toute relative.

Bruno Corinti de Nexity tente de rassurer tout le monde "Les logements Scellier, même à Montauban ou à Périgueux (sic), ont fini par se louer, signe qu'il faut laisser faire le marché sans le réguler par des loyers imposés". Bruno oublie bien sûr de préciser le montant des loyers finalement négociés (à mon avis pas bien loin des tarifs dans le social). Corinti conclue sur ce point de consensus de la tablée, histoire peut-être de couper court aux accusations d'une présidence trop lente: "On peut affirmer que le ralentissement du marché est dû à François Hollande". Et paf les gauchos !

Emile Garcin, de Emile Garcin propriétés, va plus loin : "Il ne faut pas oublier que Nicolas Sarkozy a pris des mesures dignes du communisme". Et oui, dès fois pour la caricature, ce n'est pas la peine d'en rajouter.

A la question de la conversion des bureaux vacants en logement, Laurent Vimont de Century 21 oppose un refus catégorique. Impossible de les convertir en logements, car "les coûts de transformation liés aux normes d'habitation actuelles rendent l'opération non rentable pour un promoteur" et le journal de synthétiser dans un encart rouge "L'obligation de construire du social peut rendre plus rentable la construction de bureaux et renforcer la pénurie de logements". 

Résumons à l'issue du dossier la philosophie des professionnels réunis: 
Construire du logement social pousserait les professionnels à construire des bureaux vides (plus rentables) difficilement adaptables en logements privés. 
Construire du logement social augmenterait le coût du logement privé. 
Construire du logement social entraînerait la fin du monde dans d'atroces diarrhées à perspective de 5 ans. 

Comme une impression de regarder les dirigeants de Kodak au moment de l'arrivée de la photo numérique. Consternant spectacle de professionnels ne voulant se résoudre à accepter que les Français n'ont tout simplement plus d'argent à consacrer pour alimenter la hausse des prix continue à laquelle nos professionnels s'étaient habitués

Comme dans la consommation courante, le logement va s'orienter en deux grandes tendances : le basique et le luxe. Je leur laisse le luxe, et insiste vraiment pour que l'Etat garantisse le basique. Car, je ne sais pourquoi, l'expérience peut-être, je ne fais confiance ni aux particuliers ni aux professionnels pour corriger les abus des 15 dernières années.

mardi 18 septembre 2012

Petite histoire de la bulle immobilière française


Par Seb Musset et Rémi Andréoletti. Enquête de Rémi Andréoletti. 

Les prix de l’immobilier en France sont trop déconnectés du salaire moyen pour être économiquement honnêtes. C'est donc une bulle. L’affirmer il y’a quelques années encore vous classait illico dans la case hérétique, les cas de crédits sur 30 ans pour des maisons dont personne n'aurait voulu au tiers du prix 20 ans plus tôt se propageant dans une contagieuse euphorie entre 2000 et 2010.

Pourtant. Si la presse continue à perpétuer le mythe de l’enrichissement par l’immobilier avec une dévotion n'ayant d'équivalent que la puissance financière de ses annonceurs, peu à peu, de plus en plus de joyeux propriétaires d'hier se réveillent avec la gueule de boisgarrotté par les remboursements.

La croyance en un parpaing qui, pour peu qu’il soit rehaussé d’un 'zoli bibelot, verrait sa valeur doubler tous les trois ans jusqu’à la nuit des temps a des ratés.

Les professionnels ne l'esquivent même plusles prix déclinent. Jusqu'où et pour combien de temps ? Là n'est pas notre sujet. Penchons-nous plutôt sur le pourquoi du comment d'une telle emballée. A la différence d'autres économies occidentales, la bulle immobilière française a ses particularités.

Notons sur cette courbe de Friggit que, à l'exception de la crise de 1990, les prix de l’immobilier sont plus ou moins stables rapportés aux revenus disponibles des ménages de 1965 à 1998.
Les prix décollent une première fois de 1998 à 2003. Puis, de 2003 à 2008 ils entament une seconde phase d’accélération plus prononcée jusqu’au contrecoup européen de la crise des "subprimes". Mais, à la différence des autres pays où l’immobilier ne se redressera pas, chez nous les prix repartent à la hausse moins d’un an après, jusqu’au premier trimestre 2012 où ils redescendent.

Passons en revue quelques hypothèses pour expliquer la montée continue des prix des 15 dernières années.

1e hypothèse:
La pénurie de logements (due à l'augmentation des divorces, des familles mono parentales et des célibataires...)

Si l'on focalise sur les divorces, l’INSEE nous informe qu'ils ont augmenté de 50% en 15 ans et passent de 100.000 à 150.000 / an. Voilà qui impliquerait approximativement un besoin de 150.000 logements par an.

Toujours selon l’INSEE, en 1990 la France comptait 26.2 millions de logements pour 21.5 millions de ménages (soit un ratio de 1,12). En 2010, La France compte 30.6 millions de logements pour 26.4 millions de ménages (soit un ratio de 1.16, avec des ménages de plus en plus petits). Reste un excédent de 16% (logements vides, en travaux, censés permettre la mobilité, la rotation).


Le taux de disponibilité  logements / nombre de ménages est relativement constant depuis 20 ans. On construit à peu près autant que la population se développe. Pour l'année 2010, la France a crée 131 509 logement sociaux. Ce chiffre cache tout de même de grosses disparités territoriales, Paris et l'Ile-de-France ayant bien moins bénéficié de nouvelles constructions que le reste du pays depuis 10 ans. Les changements de comportements sociologiques n'auraient donc pas entraîné la montée des prix. Du moins à première vue. Car les divorces sont souvent synonymes d’urgence, d’augmentation du volume des transactions, avec au milieu le doux son des sous du crédit et de ses intérêts. Voilà qui nous conduit à l’hypothèse 2.

2e hypothèse:
Les intérêts des prêts sont intégrés dans le prix des biens lorsqu’ils sont revendus (ou, la maison devenant un bien de consommation courante, à la fois ascenseur social et "investissement sécurisé", acheté et revendu tous les 5 ans).

La grosse arnaque commence ici. La pire puisque chacun jusqu'au dindon de la farce est complice

Exemple: Un couple achète un appartement à 170.000 euros en 1999. La totalité du prêt représentait environ 100.000 euros sur 20 ans. Les intérêts sont remboursés d’abord, les prix montent, l'appartement est revendu et le vendeur empoche une petite plus-value. A l’aide d’un prêt relais, c'est une maison qui est rachetée dans la foulée par le couple, mais cette fois avec un prêt sur 25 ans. Rebelote sur le même principe 5 ans plus tard pour une maison plus grande, plus chère, avec cette fois un crédit sur 30 ans. La croyance s’auto-alimente et contamine l’entourage tant que les prix gonflent, et les prix gonflent plus on est nombreux à y croire. On comprend dès lors que tout le discours médiatique (payé par la publicité, des promoteurs et des banques, voire des notaires) aille dans ce sens. Tout le monde y gagne: la banque, le promoteur, le notaire et l’emprunteur, sauf que ce dernier s’endette de plus en plus lourdement sur des périodes plus longues. On saisit également comment de faibles revenus, jeunes et sans véritable visibilité professionnelle, se retrouvent "propriétaires", spécialement s’ils ont bénéficié d'un coup de pouce parental initial (cette mise qui permet rentrer dans un casino du béton d’où l’on est censé sortir gagnant à tous les coups). Dans cette mécanique, les intérêts bancaires sont "réinjectés" à chaque fois dans le tarif du bien suivant. Cette période s’étend de 2002 à 2008 et concerne d’abord les trentenaires et les jeunes actifs, formant un ensemble idéologique avec des propriétaires plus âgés et / ou plus riches. C’est à eux que Sarkozy s’adressait lors de la campagne de 2007 avec sa "France des propriétaires".

Exemple idéal durant cette période: En 2002, un prêt de 170.000€ (soit une somme empruntée totale, intérêts inclus de 280.000€) sur 20 ans représente environ 280.000/(20*12) = 1166€/mois de remboursement. Il faut donc 110.000/1166 = 94 mois soit 7,8 ans pour rembourser les intérêts en supposant que le prix du bien n’ait pas évolué et qu’il n’ait pas été vendu entre temps. Mais avec l’inflation des prix, si le bien est revendu 5 ans plus tard, soit en 2007, le bien a pris environ +60%, soit 278.000€. S’il est revendu en 2007, le propriétaire aura dépensé 5*12*1166€ = 70.000 €, donc gagné 278.000-70.000-170.000=+38.000€ (environ)

Problème: Malgré la croyance que les arbres montent au ciel, la réalité du propriétaire endetté est brouillée au quotidien par un impératif croissant de mobilité professionnelle, la généralisation des divorces (on y revient), la stagnation des salaires et la montée continue du chômage et ces remboursements de plus en plus longs. La clientèle cible est aujourd’hui bloquée: isolement géographique, baisse du niveau de vie, augmentation des charges énergétiques, impossibilité d’accéder à plus grand ou couples divorcés contraints de vivre sous le même toit

Précision de taille contribuant à soutenir la hausse durant cette période: Seuls les agences immobilières ou les investisseurs disposant de liquidités ont alors connaissance des offres ou sont en mesure de racheter des biens à prix cassés dans les situations d’urgence où les couples doivent vendre (biens que vous ne verrez jamais en agence), pour les revendre à leur tour au "prix du marchéc’est-à-dire à celui de la bulle.

3e explication:
Le passage à l’euro.

On l’accuse de tout, pourquoi pas de la montée des prix de l’immobilier? A priori la monnaie unique n’y est pour rien puisque La France bascule dans l’euro en janvier 2002, soit 4 ans après le décollage des prix. Sauf que…

"Nous aurons trois ans pour passer progressivement à l’euro de 1999 à 2002. C’est une période qui peut sembler longue, mais qui me parait en fait très utile pour que chacun bascule à son rythme. Ceux qui voudront utiliser l’euro dès 1999 pourront le faire. Cela concernera probablement davantage les entreprises pour lesquelles une option « tout euro » a été créée."

in "plan national du passage à l’euro" publié par le Ministère de l’Economie, le 3 juillet 1998.

Avançons alors deux hypothèses:

- La première pente hors du tunnel de Friggit (première montée avant la grosse montée de 2002) serait-elle liée à une anticipation, une peur, des professionnels et des fonds de pension achetant massivement dans les grandes villes nécessaire à amorcer les prix? Ce mouvement serait couplé aux investissements des particuliers aisés qui vont anticiper le passage à l'euro en achetant dans la pierre pour sauvegarder leur patrimoine.

- La seconde pente à partir de 2002 répondrait, elle, à l’arrivée massive des particuliers "lambda" voyant les prix monter suite aux investissements immobiliers des professionnels et des ménages fortunés  (Rappelons le contexte: marasme boursier à base de krach de bulle internet + effet 11 septembre: la pierre apparaît plus que jamais comme une valeur refuge)

L’euro n’aurait donc pas d’effet direct, mais la crainte du passage à l’euro en aura eu un, psychologique, affectant en "avant-première" autorisée les professionnels puis, les particuliers aisés et enfin le commun des mortels. Ces derniers sont alors encouragés par les professionnels: pour que l’investissement soit rentable pour eux il faut que le gogo achète à prix d’or pour soutenir le marché. Ce deuxième effet de "croyance" (à partir de 2002) se retrouve renforcé par la réinjection des intérêts évoquée dans l’hypothèse 2. A partir de 2002 l’immobilier devient d'ailleurs un sport national, le logement un "projet immobilier". Les émissions télévisées sur l’achat, la vente, la décoration, le home-staging font leur apparition en prime-time. Les agences immobilières se multiplient alors dans toute la France, des rues de Paris aux villages les plus reculés, on l'on en compte plus que de boulangeries et de charcutiers. La machine à faire des bulles s’emballe.

4e hypothèse: 
Les fonds de pension continuent à acheter.

Les fonds de pension ne s’entichent pas seulement des entreprises en exigeant des taux annuels à deux chiffres, mais continuent à investir dans les grandes villes européennes à partir de 2008 notamment à Paris (voir ici P.21 à 40) où les prix doublent en quelques années (ce qui renforce la confusion dans les esprits: on voit encore de la fièvre immobilière partout, alors que la situation en province n’est déjà plus aussi flamboyante).

5e hypothèse:
L’arrivée des étrangers sur le marché français.

La France est LE pays du tourisme (81.4 millions en 2011), également prisé pour l’investissement immobilier des classes moyennes supérieures et classes supérieures étrangères. Si à Paris, la pression des acheteurs étrangers se fait sentir dans certains quartiers, le tourisme y aura un autre dommage collatéral bouleversant l’offre locative. Le revenu moyen local ne permettant plus d’accéder à la location au tarif croissant auquel se sont habitués les bailleurs en "zones tendues", ils louent désormais aux touristes, se substituent aux hotels et le prix du mois devient celui de la semaine.

Les achats immobiliers par des étrangers ne représentent, eux, que 4% des transactions conclues chaque année en France (env. 44.000 – 72% sur de l’ancien pour un prix moyen de 250.000 euros, principalement en Paca et Ile-de-France). De plus, certaines zones de province étaient aussi investies par des étrangers avant les années 1990 (Ardèche, Périgord, Poitou…) sans que cela n’entraine de montée des prix. L’arrivée des étrangers a elle seule n’explique pas non plus la hausse nationale des prix des dix dernières années.


Interlude:
Nous sommes en 2008, peu après le krach boursier, l’immobilier français aurait dû théoriquement suivre le mouvement et éclater à ce moment comme ce fut le cas aux Etats-Unis et en Angleterre. Nos prix chutent, mais peu de temps. Les banques baissent leurs taux d’intérêt et réamorcent la bulle. A cette époque, ceux disposant de cash ou de la majeure partie de l’apport sont doublement avantagés: prix + taux ont baissé.

6e hypothèse: 
Les aides fiscales à la pierre ou "De l’importance d’un Nicolas Sarkozy pour maintenir une indécente bulle immobilière".

En 2007, ceux de la tranche 25-40 qui devaient être propriétaires l’étant déjà (sauf quelques cas sociaux qui font des blogs), le gouvernement de droite doit à tout prix soutenir les prix de l’immobilier (pour contenter son électorat) en attaquant les tranches précarisées ou récalcitrantes des jeunes et des vieux. En parallèle aux Scellier, Bouvard et autres produits de défiscalisations, sont lancés "la maison à 100 euros" et le "PTZ+" (prêt à taux zéro) accomplissant cet exploit marketing de faire d’un prêt un apport[1]. Les jeunes s’achètent du pavillon low-cost à obsolescence programmée et les ménages aisés un deuxième ou un troisième bien avec une ristourne subventionnée. Via le PTZ, l’Etat offre aux banques un enrichissement supplémentaire sur fonds publics et favorise l’endettement de gens potentiellement insolvables pour qu’ils accèdent à la propriété de biens ne trouvant pas preneurs autrement.

Nous arrivons à la fin du parcours, c'est à dire à la fin du délire. Les aides fiscales sont finies ou en passe d’être terminées, l’endettement des ménages est au taquet, les ménages les plus aisés n’achètent plus, ralentissent leurs transactions, un effort national sur le logement social est dans la rampe de lancement. Le marché est saturé. L’endettement de la tranche 30 / 40 ans est acquis. Les jeunes primo-accédants et les plus de 60 ans ont acheté en masse avant la fin du PTZ et des défiscalisations. Tous les leviers pour soutenir la bulle ont été actionnés: rallongement des prêts, baisse des taux, défiscalisations tous azimuts. L'INSEE indique que le niveau de vie des Français diminue. Les prix de l’immobilier partent à la baisse, même en Ile-de-France. Le nombre de constructions chute de 12% sur tout le territoire au premier trimestre 2012. Les agences immobilières ferment les unes après les autres tandis que les multipropriétaires ne veulent pas encore brader leur bien. A Paris, on constate 22% de transactions en moins cette année, mais les prix s’y tiennent encore artificiellement: moins de demandes, mais aussi moins d’offres affichées.

Conclusion:
La bulle immobilière française n’est pas comme les autres. Plus longue, plus soutenue, elle n’a pas une raison, mais des raisons. Si l’avidité généralisée a son poids, on y trouve aussi des motifs psychologiques, un mélange de craintes et de manipulations sur fond de croyances, puis, en fin de ligne, un soutien fiscal appuyé du précédent gouvernement. La conséquence la plus dramatique de cette bulle étant que dans cette période le nombre de mal-logés a explosé. La fondation Abbé Pierre estime à 10 millions (1 français sur 6) le nombre de personnes affectées par la crise du logement (du SDF aux familles en suroccupation ou en situation de précarité énergétique, jusqu'au salarié dormant dans sa voiture...). 

Descriptif des bulles successives appliquées à la courbe de Friggit (cliquer pour agrandir):

La question de la pénurie, avancée par chaque politique pour expliquer l’inaction dans le domaine du gouvernement précédent, est une piste valable pour une poignée de territoires et cache le fond du business-model des 15 dernières années: faire monter les prix coûte que coûte pour compenser psychologiquement la stagnation des salaires. Les banques y encaissaient pépères des intérêts, le politique s’assurait un climat social apaisé.

Cette époque est révolueLa question n’est pas de savoir si un krach aura lieu, mais quelles seront son amplitude et sa durée. On peut juste subodorer que la suprématie idéologique du "propriétaire endetté" hurlant au locataire qu'il jetait son argent par les fenêtres va être chahutée, que les banques vont également profondément repenser leur activité dans le domaine et fortement en diminuer la proportion.

[1] Arnaque du PTZ+, le prêt directement payé à la banque par l’état au début décale d’autant le reste du remboursement, les intérêts deviennent des pénalités (les intérêts du prêt à taux zéro). 

jeudi 13 septembre 2012

Immobilier et optimisme: Ça monte mais ça baisse

La chambre des notaires de Paris-Ile-de-France panique. Ses chiffres du matin indiquent que la région francilienne rejoint dans le marasme immobilier le reste du pays.

Les prix y montent en moyenne de 1.9% mais le volume de transactions recule de 22%, et ça c'est la catastrophe pour une corpo qui a tout intérêt que les transactions se multiplient. Ce chiffre laisse supposer 1 / que ce sont essentiellement les très gros revenus qui achètent encore 2 / que les vendeurs ne sont pas plus pressés de vendre que les acheteurs d'acheter et que donc 3 / Les prix se maintiennent artificiellement à la hausse (grâce à quelques gros acheteurs donc) dans un environnement où il n'y a tout simplement plus d'offre affichée, ni de demande en agence. 

Au Figaro, on soigne son lectorat de rentiers. Il faut maintenir l'espoir et les prix à la hausse... et l'on s'accroche aux dernières traces d'euphorie...



Tandis que chez Liberation, les choses sont plus claires.



Le pearltree "Paris, ça baisse mais ça monte"

dimanche 9 septembre 2012

Le loyer le plus cher du monde


Chaîne alimentaire du net: reprenons une brève du Huffingtonpost reprenant ce matin un billet de lavieimmo.com basé sur un article du New York Daily News au sujet du tarif à la location "le plus cher du monde" d'une maison de ville à New-York. 

120.000 euros / mois pour "2000 m2 de surface habitable, une salle à manger de 150 places, un solarium, une master suite avec deux salles de bain..."

L'objet du délit américain courageusement dénoncé par la presse française. 

Mais l'Amérique c'est loin pour toi qui rêvais d'intégrer l'élite à domicile... 

120.000 euros / mois pour 2000 m2 c'est 60 euros le m2 / mois.  Et bien, ne sois pas désenchanté ami jeune, ce luxe est à portée de click tricolore ! 

Voici une petite sélection d'annonces à la location débusquées ce matin sur seloger.com...

A tout seigneur, tout honneur. Commençons par le quartier de la rédaction du Huffington Post (Boulevard Auguste Blanqui dans le 13e à Paris selon les CG). Dans cette zone de guerre, tu peux presque déjà t'offrir le luxe new-yorkais. Entre 53 et 54 euros le m2, tu trouveras ces deux studios, dont un "chargé d'histoire" avec salle de douche et WC. Et, tu me le concéderas, pouvoir faire caca dans sa douche en pensant à Louis XIV: c'est déjà un peu faire partie des grands de ce monde.


Ayons de l'ambition et prenons le métro. 10 minutes plus loin, tu trouveras l'opportunité de friser l’opulence manhattanienne avec du 58,57 euros le m2 à la location, rue Vavin (et pour le prix, t'as une super vue sur les fleurs des autres).


Je ne sais plus qui de 50 cent ou de mon conseiller clientèle Century 21 me disait au milieu des années 2000 "Get rich or die tryin'", mais il avait raison ! Jeune français, n'attends pas pour grimper dans l'échelle sociale et offre-toi dès ta première année d'études à Paris, tel le quasi-nabab de la 7e avenue, du 58.82 euros le m2 !  
Trop petit pour tes ambitions ? Tu seras Vendetta ou tu ne seras pas ?[1] Bravo, tu es un winner. La Ville lumière te permet de ridiculiser les americano-milliardaires avec ce "joli meublé" qui, à 62,5 euros le m2, éclate la maison de l'Upper East Side.

Terminé de jouer dans la cour des petits ? L'immonde ne suffit pas ? A 66,66 euros le m2, et sans risquer d'éclater ton pass Navigo, tu peux rouler dans le luxe suprême (prends garde tout de même à ne pas te cogner la tête). 
 

Mais si vraiment tu veux épater tes amis et, who knows, bénéficier d'un article dans le Huff, je te recommande ce flamboyant 67,64 euros le m2 à deux pas de chez Carla Bruni. La cuisine y est "américaine", et ça c'est New-York à Paris ou je ne m'y connais pas.


Malheureusement, ne disposant pas des moyens d'investigation du HuffingtonPost, j'ai dû limiter ma recherche à Internet. Mais gageons que, pour les individus un peu moins fortunés et encore plus dans l'urgence, circulent sous le manteau d'autres annonces bien plus "luxueuses" pour des surfaces encore plus réduites. Mais quand on aime, on ne compte pas.

[1] Le comité de surveillance des blogs émet une alerte pléonasme sur cette phrase.

Merci à Bembelly pour l'info

mercredi 5 septembre 2012

Eric Zemmour et la menace HLMiste

Par Seb Musset

2 minutes 57. C'est le temps nécessaire à Eric Zemmour pour propager de la bonne grosse connerie autoqualifiée de "pas politiquement correcte", chargée en clichés xénophobes machos ou antisociaux, auprès de millions d'auditeurs dont j'espère qu'ils ne sont à l'image du titre de sa chronique: "pas dupes".

Ce matin sur RTLle "censuré" s'attaquait à Cécile Duflot (qui vient d'annoncer la cession par l'état de terrains pour la construction de logements sociaux et la multiplication par 5 des pénalités pour les communes ne respectant pas la loi SRU). Submergé par sa détestation des Verts et des femmes au pouvoir, l'Avenger des petites gens en vient à enfiler une série de clichés sur le logement social. Ça ne serait pas si grave si, au lieu de se cantonner au zinc du bar de pochtrons dont elle n'aurait jamais dû décoller, sa daubesque diatribe n'était pas diffusée à 7h (le prime-time de la radio).

Entre ici Rico:

Entre autres moments de grâce, à 0.30 le polémiste reproche à la Ministre du Logement de céder à prix cassé des terrains de l'Etat "alors qu'ils pourraient être vendus à prix d'or et réduire les énormes déficits publics(retiens là bien, ça va nous resservir dans 2 minutes). 

A 1.30, selon Zemmour: Cécile Duflot n'aurait que "mépris" pour cette "nouvelle manie des Français de s'installer loin des grandes villes et de retrouver au calme dans dans leur home-sweet-home avec jardin que leurs spécialistes appellent périurbain" [...] "Duflot veut les forces à réintégrer leur HLM dont ils n'auraient jamais dû sortir".

C'est simple le "pas politiquement correct": L'exode à Pétaouchnok des classes populaires n'est pas dû à la spéculation immobilière dans les villes (en partie entraînée par les lecteurs des pages saumons du canard où officie Zemmour), mais bien à la passion française pour "la nature". Cette même soif de retour à une vie saine et paisible poussant les ménages à se taper 4h de transport par jour, en plus de la pollution des villes où ils travaillent. Faut dire avec ses bons scores FN (motivés en partie par l’exclusion culturelle, le manque réel d'infrastructures et de services publics à proximité et le sentiment de déclassement géographique), le "péri-urbain" c'est un peu la chasse gardée de Zemmour même s'il ne donne pas le sentiment d'y mettre souvent les pieds.

Notons d'ailleurs que Zemmour ne parle pas de villes désertées mais bien de "banlieues". Banlieues bien sûr quittées à cause des dangers de "l'immigration".

A ce stade, je ne sais pas si Duflot veut réintégrer de force "les beaufs"[1] dans les HLM, comme Zemmour l'affirme au fiel, mais une chose est acquise: lui n'en veut pas dans les villes.

Logique. Une minute plus tôt, rappelez-vous, l’intrépide journaliste rageait que l'Etat ne contribue pas  un peu plus à la montée des prix en centre-ville. De là à penser que le chroniqueur en croisade "anti-bobo" habite en ville, qu'il y possède un bien dont il ne veut pas voir baisser la côte, dans un immeuble pas forcément certifié sans immigré mais très certainement garanti sans pauvre, il n'y a qu'un pas que nous nous garderons bien de franchir ici.

Eric Zemmour reproche donc à Cécile Duflot de vouloir imposer un "vivre ensemble obligatoire" (critique pour le moins contradictoire de la part d'un type qui veut en finir avec le multiculturalisme) et instrumentalise l'immigration pour masquer 1 / sa condition sociale de citadin über-peinard 2 / une relégation vers le péri-urbain des familles qui a plus à voir avec une flambée des prix dans le privé et une carence de l'offre sociale.

Malgré les clichés "HLM = clapier" et autre "HLM = immigration", nous rappellerons donc à Rico:
- Qu'il y'a en France 1.7 million de demandes de logements sociaux en attente.
- Qu'à Paris la demande concerne 120 000 familles pour un parc d’environ 180 000 logements. (Que Paris et la petite couronne concentrent les 2/3 des demandes d'Ile-de-France)
- Que le taux de rotation des logements est inférieur à 5% car les familles bénéficiaires d'un logement social n'ont pas les moyens de se loger sur le marché privé, dont les loyers d’entrée sont doubles des loyers de sortie des HLM.
- Que les commissions municipales de désignation (pour les logements sociaux dont la ville est réservataire) voient passer des dossiers de familles consacrant dans le secteur privé plus de 50 à 60% de leur budget au logement.
- Que généralement ceux qui ont un logement social y restent, même si ce dernier est surpeuplé.

 [1] bel usage du discours indirect fantasmé.