mercredi 23 mai 2012

D'étranges opportunités immobilières

Par Seb Musset

Se loger est une guerre. Débile, cruelle, inutile comme toutes les guerres. D'un côté les parasites de l'immobilier et les apologistes de la pierre vue comme "placement" pour se gaver pépère crient au scandale de l'encadrement des loyers promis par F.Hollande. Une mesure qui, si j'en crois le patron de Gererseul.com (sic) serait "un frein à l'investissement immobilier" (comprendre: "un frein aux culbutes à deux chiffres en échange de l'investissement d'un rideau de douche scotché par un ouvrier payé au black dans le studio pourri dont on a hérité de papa et maman").

De l'autre 10 millions de Français pâtissent jour après jour du dérèglement du secteur de l'immobilier avec des prix multipliés par deux en une décennie en partie à cause d'une clémence fiscale sans précédent pour ceux qui disposaient déjà d'un capital au départ (voir premier paragraphe).

La nouvelle ministre du Logement est attendue au tournant. Par tous. Mais, la résistance des bailleurs s'organise. Voilà que je découvre dans les pages "placement" de Valeurs Actuelles un joli produit financier autorisé par l'AMF juste avant les élections. Le bidule s'appelle Novaxia Immo Opportunité et entre dans le cadre du paquet fiscal, la fameuse loi Tepa (dont il ne reste pourtant pas grand-chose).

De quoi s'agit-il ? Écoutons Joachim Azan, associé gérant du groupe Novaxia:   

« Notre recherche permanente de solutions visant à faire profiter nos investisseurs des meilleures opportunités du marché nous a conduit, cette année, à créer une offre liée, afin de profiter à la fois des avantages de l’immobilier et de ceux de l’hôtellerie. La conjoncture est, en effet, favorable à ces deux secteurs »

Comprendre: escroquer les pauvres locaux avec du rêve de propriétaire ça ne paye plus, offrons du service immobilier aux riches étrangers. 

Azan précise dans le magazine de la droite des valeurs (qui au fond aime bien les immigrés tant qu'ils ont du pognon)

"Les investissements se réalisent uniquement en Île-de-France et en Paca, deux régions recherchées par les investisseurs internationaux et qui offrent des occasions à l'achat à des prix attrayants en raison de la vente d'immeubles tertiaires par des institutionnels et par les pouvoirs publics."



Via des PME montées sur mesure, il s'agit d'investir dans du produit immobilier locatif à baux courts dans des zones déjà soumises à une forte pression foncière, au sommet du box-office du mal logement. Bref de l’hôtellerie bis, non soumise aux contraintes de l’hôtellerie. Les salopiauds se groupent ainsi pour acheter d'un coup et au meilleur prix des immeubles de bureaux ou des bâtiments de collectivité pour les transformer en pied-à-terre pour touristes thunés et louer le 30m2 à 600 euros le week-end. Le plus beau: ça permet de réduire ton impôt sur la fortune et d'obtenir une ristourne supplémentaire sur l’impôt sur le revenu à hauteur du 18%. 100.000 euros investis = 18.000 euros de moins à payer sur L'IR. (Et parallèlement, il conviendra de pointer du doigt l'allocataire au RSA qui vole à la collectivité 400 euros par mois)

"Les activités de construction d’immeubles en vue de leur vente ainsi que les activités de location meublée touristique de courte durée ouvrent, en effet, droit aux avantages fiscaux de la loi Tepa" > Points 15 et 16 du BOI 7S-5-11, page 7 sur ce lien).

Étrangement, la loi n'applique pas ce mécanisme pour le logement social. A noter qu'au même moment la promesse de F.Hollande de doubler le plafond du livret A pour financer plus de logements sociaux est dans le viseur du lobby des banques et assureurs en mode Kill it !  Comprenons-les. Déjà que les banques n'ont pas une bonne image dans la population, avec cette conjoncture morose il ne faudrait pas que les épargnants se mettent à placer dans des produits sûrs et de surcroît  constructifs. Non. Tant qu'on peut leur vendre de l'action facebook survalorisée, c'est quand même plus juteux pour nos sauveurs des marchés.

Le produit Immo Opportunité (s'il fonctionne, l'opération étant abandonnée en dessous de 1.8 million de collecte) favorisera encore un peu plus l'envolée des loyers dans les zones concernées. J'ai abondamment traité de la pied-a-terrisation, cerise sur le gâteau des injustices immobilières en zones tendues: Pourquoi mettre un loyer à 700 euros par mois si on peut louer le machin à 700 par semaines sans gestion complexe, en en gardant la disponibilité, le tout assorti d'un copieux cadeau fiscal ? (même si dans ce cas précis, mon expertise fiscale ayant ses limites, je ne peux garantir que le thuné tenté bénéficie de l'avantage au-delà de cette année). 

On comprend dès lors que les bénéficiaires de ce type de produits autoproclamés investisseurs (profiteurs serait plus juste) crient au scandale à la réaffirmation par Cécile Duflot de l'encadrement  des loyers qui, en théorie, tuerait ce business. A moins bien sûr que ce business et les loyers déconnectés des réalités salariales locales qu'il engendre soient considérés comme la norme sur certains territoires de France. 

Illustration: An american in Paris, V.Minnelli (1951)